Les Misérables
Le roman est pris en charge par un narrateur omniscient, qui laisse souvent la place à l’auteur lui-même, s’exprimant sur le mode de la digression. Hugo en effet multiplie les digressions, technique déjà utilisée dans Notre Dame de Paris, et les systématise.
Dans le roman, Les Misérables, l’épisode des barricades avec Gavroche se situe en 1830 durant les Trois Glorieuses.
Dans la cinquième partie du roman intitulée Jean Valjean, le livre premier, « La guerre entre quatre murs », Hugo va faire une digression pour décrire les deux plus imposantes barricades qu’il ait vus en juin 1848.
La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple.
…….Ces deux barricades, symboles toutes les deux, sous deux aspects différents, d’une situation redoutable, sortirent de terre lors de la fatale insurrection de juin 1848, la plus grande guerre des rues qu’ait vue l’histoire.
…Ce sont là des journées lugubres ; car il y a toujours une certaine quantité de droit même dans cette démence, il y a du suicide dans ce duel, …la populace livre bataille au peuple….. Les gueux ont fait la Hollande ; la populace a plus d’une fois sauvée Rome ; et la canaille suivait Jésus-Christ.
…Il s’agit d’une émeute extraordinaire où l’on sentit la sainte anxiété du travail réclamant ses droits. Il fallut la combattre, et c’était le devoir, car elle attaquait la République.
Juin 48 fut une révolte du peuple contre lui-même.
La barricade Saint Antoine était monstrueuse ; elle était haute de trois étages et large de sept cents pieds. Elle barrait d’un angle à l’autre la vaste embouchure du faubourg.
De quoi était faite cette barricade ? De l’écroulement de trois maisons à six étages. …
Elle avait l’aspect lamentable de toutes les constructions de la haine : la Ruine.
On pouvait dire qui a bâti cela ? On pouvait dire aussi : qui a détruit cela ? C’était l’improvisation du bouillonnement. … C’était la collaboration du pavé, du moellon, de la poutre, de la chaise dépaillée, du trognon de choux, de la guenille et de la malédiction.
C’était grand et c’était petit. La masse près de l’atome ; le pan de mur arraché et l’écuelle cassée. C’était l’acropole des va-nu-pieds.
La furie du flot était empreinte sur cet encombrement difforme. Quel flot ? La foule.
…Il y avait du cloaque dans cette redoute et quelque chose d’olympien dans ce fouillis.
…cette barricade était forcenée ; elle jetait dans les nuées une clameur inexprimable. …
Elle était démesurée et vivante ; et, comme du dos d’une bête électrique, il en sortait un pétillement de foudres. C’était un tas d’ordures et c’était le Sinaï. …C’était la Carmagnole défiant la Marseillaise. … La vaste barricade s’étalait comme une falaise où venait se briser la stratégie des généraux d’Afrique.
A un quart de lieue de là, …on apercevait au loin, au-delà du canal, dans la rue qui monte les rampes de Belleville, au point culminant de la montée, une muraille étrange sorte de trait d’union des maisons de droite aux maisons de gauche.
Ce mur était bâti avec des pavés. Il était droit, correct, froid, perpendiculaire, nivelé à l’équerre, tiré au cordeau, aligné au fil à plomb. ….La rue était déserte, … au fond se dressait ce barrage qui faisait de la rue un cul-de-sac ; mur immobile et tranquille ; on n’y voyait personne, on n’y entendait rien ; pas un cri, pas un bruit, pas un souffle. Un sépulcre.
C’était la barricade du faubourg du Temple. … On regardait cela et l’on parlait bas.
La barricade Saint-Antoine était le tumulte des tonnerres ; la barricade du Temple était le silence. Il y avait entre ces deux redoutes la différence du formidable au sinistre.
L’une avait une gueule ; l’autre un masque. … On sentait dans la première barricade le dragon et derrière la seconde le sphinx.
Victor Hugo.