La deuxième République
Chapitre 2
Le gouvernement provisoire, de février à juin 1848
Tandis que clubs et journaux prolifèrent, la foule bivouaque place de l’Hôtel de Ville où siège le gouvernement provisoire. Ce sont d’innombrables délégations qui viennent plaider la cause de l’égalité, de l’humanité, de la liberté des nations.
Le gouvernement, mi-enthousiaste mi-contraint, abolit la peine de mort pour les délits politiques (une façon de se démarquer de 93), l’esclavage, la censure, l’emprisonnement pour dettes, proclame le suffrage universel (masculin), se déclare pour l’émancipation de la Pologne, de l’Italie et de la Savoie.
Au mythe robespierriste de la dictature de la vertu s’est substituée la croyance à la fraternité républicaine, (images de 1 à 6 ).
Le bourgeois communie avec l’ouvrier, le clergé se tient aux avant-postes de la révolution.
Tout cède au romantisme révolutionnaire.
26/02
L'hôtel de Ville est de nouveau
envahi, une délégation d'ouvriers armés, vient demander au gouvernement de
reconnaitre et de proclamer le droit au travail.
Dans son remarquable livre, " Histoire
de la révolution de 1848 ", Daniel Stern, alias comtesse
Marie d'Agout,
célèbre compagne de Franz Liszt, fait remarquer que la plèbe de Rome
demandait du pain et des jeux, le peuple de Paris demande plus humblement
du pain et du travail.
Lamartine argumente que
cette juste réforme ne peut être résolu sur le champ. La belle réponse fut : "
Le peuple attendra ; il met trois mois de misère au service de la République. "
Mais cette phrase, peut être aussi interprétée comme : " On en reparlera en
juin."
Dans une certaine euphorie Louis Blanc rédige un décret lourd de
conséquences :
" Le gouvernement provisoire de la République française
s'engage à garantir l'existence de l'ouvrier par le travail ;
" Il s'engage à garantir du travail à tous les citoyens.
" Il reconnait que les ouvriers doivent s'associer entre eux
pour jouir du bénéfice légitime de leur travail
" Il rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million
qui va échoir de la liste civile."
Bien imprudemment, tous les membres du gouvernement signent ce décret qui change toutes les lois, tous les rapports industriels et commerciaux de la société.
Deux autres
mesures, lourdes de conséquences, vont être prises pour essayer de canaliser les
mouvements populaires :
Création d'une garde nationale mobile, incorporant la jeunesse ouvrière
(volontaires âgés de 16 à 30 ans) dans des unités essentiellement destinées au
maintien de l'ordre.
Création d’ateliers nationaux destinés à occuper et à encadrer les ouvriers en
chômage.
28/02
A défaut
d'un ministère du travail, les manifestants qui se relaient devant l'Hôtel de
Ville, obtiennent la création d’une commission du
gouvernement pour les travailleurs, composée de délégués élus par les corps de
métiers.
Elle siégera au palais du Luxembourg et sera présidé par
Louis Blanc. Mais en fait cette commission n'aura qu'un rôle de proposition.
Le ministre des travaux publics annonce à tous les travailleurs sans travail (environ 8 000) qu'ils peuvent se rendre auprès des mairies des douze arrondissements de Paris d'où ils seront dirigés vers des chantiers. Mais assez vite des usines vont fermer, les chantiers diminuer et le nombre de travailleurs augmenter. Pour arrêter les plaintes, le gouvernement, croyant bien faire, va autoriser les maires à verser à titre de secours aux ouvriers sans travail, une somme de 1,50 f. par jour. Aussitôt le nombre d'ouvriers sans travail augmente considérablement.
02 mars
La journée de travail est limitée à 10 h. à Paris, 11 h. en Province.
04/03
Cérémonie à la mémoire
des victimes de la révolution de février. les corps sont inhumés sous la colonne
de juillet, place de la Bastille.
Les plantations d'arbres de la Liberté se multiplient, avec souvent le concours
de personnalités et de prêtres (im.
7-7').
La suppression du droit de timbres sur les journaux provoque l'apparition de
près de 280 journaux entre février et juin.
De nombreux clubs se créent à Paris :
‘ Les amis du peuple ‘ de
Raspail
‘La société fraternelle
centrale’ de Cabet
‘La société Républicaine
centrale’ de Blanqui
'Le club de la révolution’ de Barbés.
Armand Barbès, sortant de la prison du
Mont-Saint-Michel, tel un Spartacus sortant des cachots, devient la coqueluche du
tout Paris. Il accepte d'être nommé colonel de la 12e légion de la garde
nationale.
06/03
Réouverture de la Bourse en forte baisse.
L'île Bourbon est rebaptisée île de la Réunion.
Les maires n'arrivant pas à gérer la multitude d'ouvriers oisifs, l'administration confie la réorganisation des ateliers nationaux à Emile Thomas. L'organisation est très militaire, brigades, escouades, mais les chantiers sont en nombre insuffisants et le travail souvent futile (im. 8). Pourtant les ateliers continuent à enregistrer les demandes et surtout à payer. La dépense est considérable mais ne pas augmenter le mécontentement est une façon de préparer les premières élections aux suffrages universels.
08/03
Nouveau décret très important de conséquences : tout citoyen de 21 à 55 ans, ni privé ni suspendu de ses droits civiques, est garde national. Ainsi le droit au fusil suivait tout naturellement le droit au bulletin de vote (im. 9).
13/03
Continuant le principe
d'égalité, Ledru-Rollin, ministre de l'intérieur, dissout les compagnies d'élites
de la garde nationale. Les grenadiers et les voltigeurs, recrutés parmi les
habitants les plus considérables, formaient deux compagnies d'élites, constituant
dans les rangs de la garde civique une espèce d'aristocratie bourgeoise. Cette
réorganisation qui consiste à élire les nouveaux officiers au suffrage universel
et à l'armement légal du prolétariat, va provoquer la première manifestation
contre le gouvernement provisoire.
16/03
Manifestation des gardes nationaux appartenant aux compagnies dissoutes (manifestation des bonnets à poils ( im.10), 25 000 hommes des légions de banlieue et des quartiers de l'ouest de Paris (Ier et Xe arrondissement), non armés mais en tenue, se massent devant l'Hôtel de Ville. Ledru-Rollin est conspué et le commandant-général Courtais, pris à parti, a même son habit arraché. Le gouvernement provisoire reproche à ces gardes nationaux de troubler l'ordre qu'ils sont chargés de maintenir.
17/03
Le lendemain a lieu une
contre manifestation populaire. Environ 200 000 personnes vont défiler des
Champs-Elysées à l'Hôtel de Ville (im.11).
Le but est d'afficher le large soutien populaire au gouvernement et de repousser
les élections de l'Assemblée Constituante. Lamartine souhaite pouvoir s'appuyer
rapidement sur une représentation légale du pays. Blanqui craint le suffrage d'une
population non éduquée politiquement et accoutumée à suivre l'avis des notables.
Craignant d'être débordé par la gauche (Blanqui, Barbés, Hubert, Cabet, Flotte)
Louis Blanc se range du côté de Lamartine pour calmer la délégation reçue à
l'Hôtel de Ville. Il y a de l'électricité dans l'air. Blanqui obtient le report
des élections du 9 pour le 23 avril.
31/03
Publication dans la "Revue rétrospective" d'un document non signé (le document
Taschereau) révélant des noms et l'organisation de la société secrète des
Saisons. On accuse Blanqui d'avoir donné ces renseignements en 1839 pendant sa
très pénible détention au Mont-Saint-Michel. L'affaire va diviser l'opinion.
Est-ce un faux pour discréditer Blanqui ? Barbès prendra position contre
Blanqui. (voir Blanqui l'insurgé, A. Decaux, chapitre IX).
05 et 12 avril
Election des officiers de la garde nationale.
15/04
George Sand (im. 12) publie dans le bulletin de la République, un article menaçant les modérés du gouvernement provisoire d'une nouvelle révolution si les élections tournaient à leur avantage. Au lieu d'intimider ce bulletin va animer la résistance.
Les ateliers nationaux comptent près de 40 000 ouvriers.
16/04
En ce dimanche 16 avril une
nouvelle manifestation est organisée par les ouvriers des corporations, ils
demandent une radicalisation de la politique sociale et la démission des modérés
du gouvernement. Effrayé par les rumeurs d'un coup d'état préparé par
Blanqui-Cabet-Raspail, Ledru-Rollin fait volte-face et organise avec Lamartine
la mobilisation de la garde nationale, il obtient le soutien du général
Changarnier.
A 10h, 8 000 ouvriers, non armés, sont rassemblés au champ de Mars, ils seront
rejoints plus loin par les ouvriers des ateliers nationaux. Le cortège se dirige
vers l'Hôtel de Ville, quai du Louvre deux légions de la rive droite,
enveloppent les ouvriers et les escortent. Arrivés sur la place, le cortège est
coupé en deux par des légions de la rive gauche (Barbès en tête). Le général
Duvivier, à la tête des gardes mobiles défend l'abord de L'Hôtel de Ville. La
place est hérissée de baïonnettes. La marche des prolétaires tournent à la
déroute, Louis Blanc obtient juste le droit que les ouvriers puissent continuer
de défiler. Puis la garde nationale commence le sien, aux cris de : Vive
Lamartine, à bas les communistes !
Dans les jours qui suivent, les conflits au sein du gouvernement augmentent. Le parti de l'ordre, titre commun aux deux partis royalistes, légitimiste et orléaniste, réclame les arrestations des meneurs. La gauche républicaine a perdu la face.
20/04
C'est dans cette confusion extrême de pensée que se déroule la fête de la Fraternité. Gardes nationaux, gardes mobiles, troupes de l'armée et gardes républicains vont défiler sous les bravos de la foule. Ce jour fut beau encore et plein d'illusions (im. 13-14-15 ).
23/04
Les élections pour élire les 900 députés de la future Assemblée Constituante, ont lieu le dimanche de Pâques 23 avril (im. 16). La population se regroupe, souvent après l'office religieux, autour des citoyens influents, maires, curés, instituteurs, juges de paix, tous s'acheminent aux chefs-lieux d'arrondissement (im. 17). Riches et pauvres communient sur l'autel de l'urne républicaine, désormais souveraine. Étonnamment, ce premier scrutin universel masculin, se déroule sans incident.
28/04
Le résultat des élections est
catastrophique pour la gauche républicaine. La
participation est élevée : 7 835 327 votants sur 9 395 035 inscrits, ce qui
assure une légitimité incontestable aux représentants élus, " républicains
modérés " pour la plupart.
Pour 880 députés, il y a environ 500 républicains modérés, 200 orléanistes, 100
légitimistes, les républicains de gauche et les socialistes sont moins de
100.
04 mai
Première réunion de l'Assemblée Constituante qui déclare que la République, proclamée le 25 février, est et restera le gouvernement de la France (im. 18-19).
08/05
L'Assemblée, à l'unanimité moins 4 voix dont celle de Barbès, vote des remerciements au gouvernement provisoire.
10/05
Création d'une commission exécutive de 5 membres : Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine, Ledru-Rollin.
15/05
La population ouvrière de Paris attend de la commission exécutive la réalisation des promesses faite en février sur l'organisation du travail. Nouvelle manifestation de la Bastille au Palais Bourbon. Plus de 100 000 personnes, des ouvriers des ateliers nationaux, délégués provinciaux, défilent, la plupart sans armes, derrière les bannières des clubs et des corporations. Sobrier, Hubert puis Blanqui mènent le cortège. En principe la manifestation devait être un soutien à la Pologne. Ni la garde nationale ni la garde mobile ne se montrent. Les manifestants franchissent le pont de la Concorde et investissent presque sans opposition l'Assemblée. C'est la pagaille, tout le monde veut prendre la parole (im. 20). Ledru-Rollin, Louis Blanc, Barbès, Raspail s'y essayent en vain , les clameurs et le tumulte diminuent quand Blanqui prend la parole. Des motions sont proposées en plein désordre (im. 21-22). Ledru-Rollin supplie les manifestants d'évacuer la salle. Le président Buchez a pu discrètement donner l'ordre de battre le rappel afin de rassembler la garde nationale. Soudain Huber monte à la tribune et proclame "Au nom du peuple, l'Assemblée nationale est dissoute." La plupart des députés quittent la salle. Une centaine de manifestants suivent Barbès et Albert pour occuper l'Hôtel de Ville et former le nouveau gouvernement. La garde nationale dégage l'Assemblée des derniers manifestants et réinstalle les députés. puis accompagnée de Ledru-Rollin et Lamartine à cheval (im. 23), elle se rend à l'Hôtel de Ville pour arrêter Barbès, Albert, Sobrier puis Blanqui, Raspail et Huber qui curieusement sera relâché (im. 24-25). Le préfet de police Caussidière est contraint à la démission. Le général Courtais est remplacé par Clément Thomas.
Pour certains, cette journée du 15 mai fut un vaste complot mal préparé par la gauche révolutionnaire, pour d'autres cette prétendue émeute fut un piège tendu aux démocrates socialistes pour se défaire des principaux d'entres eux.
21/05
Célébration au Champ-de-Mars de la fête de la Concorde grandiose et ridicule (im.26).
24/05
Ulysse Trélat, ministre des Travaux publics, propose un décret pour la dissolution des Ateliers. Emile Thomas, directeurs des Ateliers, s'y oppose, il est écarté et remplacé par Léon Lalanne, ingénieur et colonel de la garde. Les ouvriers soutiennent Thomas. Rassemblement, pétition, manifestation se succèdent dans Paris. On crie vive Barbès, à bas Thiers ! On réclame la démission du comité exécutif.
07 juin
Une loi est votée contre les attroupements, armés ou non.
12/06
La Commission exécutive autorise le prince Louis-Napoléon Bonaparte a siégé à l'Assemblée. Mais les avis sont très partagés sur sa présence et ses intentions.
16/06
Hasard ou coup de génie Louis-Napoléon résilie son mandat de député.
Beaucoup de gens attendaient de la réunion d'une Assemblée nationale enfin élue au suffrage universelle, le retour à l'ordre et la sécurité mais tout allait empirant de jour en jour.
20/06
Les effectifs des ateliers nationaux se montent à 107 000 ouvriers. En fait les ateliers arrivent à employer environ 10 000 hommes par jour. Une somme de 4 millions a été dépensé en pure perte. Le prolongement de cette situation ne peut que provoquer la démoralisation des ouvriers, la ruine des finances, l'anarchie dans Paris.
21/06
Le drame s'annonce. Sur l'ordre de la commission exécutive, Trélat signe un arrêté qui invitait tous les ouvriers de 18 à 25 ans à s'enrôler dans l'armée ou bien à partir en province pour aller faire des travaux de terrassements à la tâche (c'est à dire à la disposition d'un patron). La publication dans le Moniteur sonne l'alarme.